THE SPEED PROJECT : From LA to Vegas

Jeudi 27 mars 2025, 3h59 du matin. Marvyn, premier relayeur du Running Club Catalans, remet en place son harnais réfléchissant sous l’arche de la jetée de Santa Monica, à Los Angeles. Nerveux, il vérifie que sa montre est bien activée, ajuste sa casquette, et se concentre sur son premier segment. À droite sur Ocean Drive, puis à gauche sur Pico Boulevard : 3 kilomètres jusqu’au premier passage de relais. 

Une foule de coureurs et de photographes lui fait face. Aligné sous les néons, 13 autres relayeurs se tiennent à ses côtés.

Après des mois de préparatifs et d’anticipation, le compte à rebours final est enfin lancé.

“5, 4, 3, 2, 1, RUN MOTHERFUCKER RUN ! “

Cohue, hurlements, flashs. Dans un délire assourdissant, les premiers relayeurs s’élancent et transpercent la foule pour se déverser sur l’avenue. En quelques secondes, le silence retombe. Les coureurs s’enfoncent dans cette ville tentaculaire tandis que les équipes se dispersent pour retrouver leurs véhicules.

Il est 4h du matin : la course SECRETS du Speed Project 2025 entre Los Angeles et Las Vegas, vient de commencer.

Un point de départ, quatre checkpoints, un point d’arrivée.

Une équipe de 8 coureur·euse·s et 1 photographe du Running Club Catalans y participe.

L’importance de la trace

Avant même de courir, il faut savoir où aller.

Pour relier Los Angeles à Las Vegas, c’est 450 km.

Pour relier Los Angeles à Las Vegas en passant par les quatre checkpoints, c’est 650 km.

Et c’est là que la course SECRETS devient excitante. Contrairement à la version “officielle” de LALV, aucun itinéraire n’est proposé. Comme informations, les équipes n’ont que le point de départ, d’arrivée et quatre points GPS.

Une carte blanche, aussi libératrice qu’angoissante.

Comment relier ces points sans pouvoir faire de repérage ? Sur un autre continent, entre ville, montagne et désert ? 

Il faut se préparer.

Fil d’ariane pour les coureurs, la trace et sa confection est une des étapes clés dans la préparation d’une course comme le TSP. Un filet de sécurité, méticuleusement tissé en amont, dont il ne faut pas sous-estimer l’impact sur les coureurs.

Lorsqu’ils perdent leur lucidité ou commencent à douter pendant la course, la trace les rassure, elle est sur leur téléphone, sur leur montre, découpée en étapes, en segments. Elle se déroule sous leurs pieds et les coureurs peuvent se recentrer sur leur effort et leur récupération.

Toute l’équipe doit avoir une confiance totale en la trace. Pourtant, tout peut arriver : une route fermée à cause d’un accident, un segment impraticable en voiture ou une simple clôture peut rebattre toutes les cartes. Mais la trace est aussi résiliente que l’équipe qui la suit.

Inerte jusqu’au jour de la course, elle se dévoile et prend vie au fil des kilomètres.

Éprouver l’immensité de la ville

130 km. C’est la distance à avaler pour traverser Los Angeles d’ouest en est et enfin apercevoir la montagne. Notre stratégie est simple : suivre les grands boulevards et éviter au maximum les changements de direction. Dans une ville aussi grande et dans l’excitation des premières heures, nous voulons éviter tout faux pas. Pico Bd, Valley Bd, Ramona Bd, les relais s’enchaînent rapidement, trop rapidement. Nous avons presque 2h d’avance sur nos prévisions lorsque nous arrivons au premier checkpoint vers midi. Il nous reste encore 2 jours de course. La ville s’efface doucement. Au loin, la montagne.

De la montagne

Arrivés au pied des montagnes de San Bernadino, deux choix s'offrent à nous, les contourner en passant par la vallée au sud ou grimper. Evidemment, nous avons grimpé. 50 km d’ascension pour atteindre le col d’Onyx à plus de 2500 mètres d’altitude. Serpentant au milieu d’une gigantesque forêt de pins, la sinueuse route 38 nous offre un panorama et une golden hour mémorable avant de nous abandonner à l’obscurité de notre première nuit dehors.

Il est 19h, 4 coureurs dans un 4x4 entament la descente, c’est notre première section offroad, 40 km pour rejoindre le désert et notre deuxième checkpoint. Les fenêtres sont baissées, le poste radio crache des sons mexicains à pleine puissance et les phares guident le coureur.

Ça secoue, on avance vite, souvent, le 4x4 n’arrive pas à suivre la cadence, mais curieusement les coureurs n'osent pas trop s’éloigner du véhicule. 

FLASHBACK : 9h du matin, au Nancy May’s Café, un local très intéressé par notre aventure nous montre sur son téléphone une vidéo d’une de ses caméras à détection de mouvement qu’il a planqué quelque part dans la montagne qu’on s'apprête à traverser. On y voit une belle maman ours, suivie de ses petits winnie oursons. “That’s mama” qu’il dit. Rassurant.

Les rochers et la terre laissent place au sable et à la poussière. Éclairés par nos lampes frontales, les étranges silhouettes des joshua tree nous observent le long de cette piste de sable qui nous amène au deuxième checkpoint dans la ville de Pioneertown.

Il est bientôt minuit, nous avons franchi les portes du désert.

Du désert

Retour au bitume. Il s’étire devant nous, rectiligne, interminable, un trait noir au milieu du désert. Avec notre lampe frontale, nous sommes la seule source de lumière sur des kilomètres à la ronde. Certains d’entre nous les éteignent pour ne suivre que la bande blanche au sol. C’est un moment unique, il est 3h du matin, nous sommes au milieu d’Amboy Road, une ligne droite de 80 km. Au loin, parfois, une lueur surgit. Un phare. Mais impossible de dire s'il s'approche ou s’il reste figé. Les distances n’ont plus de sens ici. Tout est plat. On court avec la sensation de ne pas avancer, comme sur un tapis roulant posé au milieu de nul part.

La lueur de l’aube dévoile peu à peu le décor lunaire qui nous entoure. Nous approchons du troisième checkpoint : le cratère d’Amboy, vestige volcanique figé au milieu du désert californien.

De chaque côté de la route, une mer de sable et de roche parsemée de buissons brûlés par le soleil. A l’horizon, des montagnes qui semblent inatteignables. Seuls les poteaux électriques le long de la route rompent l’horizontalité du paysage et nous indiquent que nous sommes en mouvement.

Road closed

Soudain, un panneau : “ROAD CLOSED”

Il est 11h, nous venons d’atteindre un point important de la course.

Pour continuer, nous devons emprunter une ancienne portion de la Route 66. Fermée depuis plusieurs années, cette section est en ruine : une dizaine de ponts ont été détruits par des crues et les villes ont été abandonnées après la construction de l’Interstate 40 plus au nord.

Malgré toutes nos recherches en amont, c’est l’inconnu. Nous ne savons pas si le 4x4 pourra contourner les ponts effondrés, les images de Google street view datent de 2008 ! Il y a 50 km à parcourir et aucun réseau. L’équipe qui s’engage sur cette section n’a pas le choix, quels que soient les obstacles sur le chemin, elle ne peut pas faire demi-tour.

L’importance du 4x4

Heureusement, on avait misé sur un vrai 4x4, un bon gros gamos bien tout terrain ! On a eu peur de l’ensablement mais l’énorme Dodge RAM est clairement dans son élément. A chaque pont contourné, la tension redescend un peu. On profite de la route. Elle est à nous : aucun camion, aucune voiture. Juste ce véhicule comme une oasis roulante sur le bitume fumant. Les villages fantômes défilent, carcasses de campings-cars calcinés, pneus éventrés, mobil-home en ruine, graffiti. On est dans un film. Seule rencontre sur cette route oubliée, un chien vient partager quelques kilomètres avec nous avant de disparaître dans ce no man’s land.

Passe d’armes

À l’approche du dernier checkpoint, le canyon de Grapevine, on croise le chemin d’une autre équipe. Les voir là, au milieu du désert, ça réveille tout le monde, ça remet de l’huile dans le moteur. Inévitablement, on accélère, le tirage de bourre commence et il va nous tenir en haleine jusqu’au milieu de la deuxième nuit.

Searchlight

On approche de Las Vegas, on le sent : les routes sont plus fréquentées, plus rapides. Les relais deviennent aussi plus risqués, les bas-côtés sont étroits et les voitures déboulent à toute allure. Il faut rester lucide, concentré. Mais nous sommes dans un état second, personne n’a dormi plus de trois heures et nous courons depuis presque 48h. Ça commence à grimacer. Des blessures se réveillent ou deviennent de moins en moins supportables. Cette route 95 semble ne jamais se terminer !

Les relais sont robotiques, nous sommes hagards. Une partie de l’équipe commande des burgers pour tout le monde. Ça soigne l’esprit, un peu moins les intestins. Nous sommes tous dans l’attente de l’aube, un verre de Moutain Dew dans la main.

Quand le soleil se lève enfin, nous entamons la dernière portion off-road : dix petits kilomètres de sable pour franchir le Dutchman Pass et arriver sur les hauteurs de Las Vegas.

LAS FUCKING VEGAS

Paradise Hills. Nos regards se posent enfin sur Las fucking Vegas. À nos pieds, la ville s’étend au milieu d’une plaine sans fin, comme une grande flaque d’huile. Le Strip nous nargue, la ligne d’arrivée n’est plus loin. Les derniers relais se font dans les larmes et les frissons. Chacun de nous réalise l’ampleur de ce que nous venons de faire ensemble.

Enfin. Las Vegas Boulevard.

L’équipe se réunit pour les cent derniers mètres. 

Slalom entre les touristes.

Douche de champagne, bières, clopes, drapeaux, médailles. 

Samedi 29 mars 2025, après 53 heures et 30 minutes, le Running Club Catalans est arrivé à Las Vegas.

By : BIG MAX